L.

L. avait une tête dure, une grande tresse foncée. À l’heure de la récré, elle montait sur le poteau des balançoires, se juchait à califourchon sur la barre horizontale et se faisait descendre le sang dans la tête. Jusqu’à ce que les sous noirs glissent de ses poches. Elle se laissait choir au sol en roulant dans les airs, mieux qu’une chatte, sa longue tresse articulée comme un gouvernail. Elle riait du sable dans sa bouche, des écorchures sur ses mains. Je la voulais à tout prix dans mon équipe.

L. portait un nom qui se criait bien. Sa mère en abusait, debout sur la galerie, s’évertuant à récupérer sa petite féline avant que le croquemitaine ne la jette dans son sac. L. ne se laissait pas faire. Je l’avais vu griffer et mordre dans ses accès de colère. Elle faisait tournoyer sa tresse au-dessus des têtes comme un lasso et personne ne pouvait l’approcher. J’ai longuement réfléchi avant de conclure que pour l’amadouer, il me faudrait une paire de ciseaux.

Pendant toute une saison, il lui a manqué une dent au milieu du sourire.

À l’automne, j’avais découpé une citrouille qui lui ressemblait. Mais sa dent à elle, avait repoussé. Et d’autres petites choses aussi.

L. parlait plusieurs langues, en plus du français. Le chinois, le chien et le pissenlit, qu’elle appelait aussi « dent de lion ». Pour le chinois, c’est ma mère qui disait : « Je ne comprends rien à ce qu’elle raconte, cette enfant».

L. la sauvage. L. et ses lèvres pleines de tous les mystères.

Elle enfonçait le pissenlit en entier dans sa bouche puis se mettait à baragouiner d’une langue jaune et exotique. J’avais déjà essayé mais je ne réussissais qu’à cracher et c’était toujours du français.

L. la troublante.

(…)

J’ai revu L. des années plus tard. Sa tresse disparue, des souliers à talons hauts, du rouge à lèvres noir, des marques sur les bras.

Elle continue de tirer la langue aux inconnus. D’une certaine façon.

Je ne suis pas dupe.

L. m’a reconnu. Elle a balancé les hanches en haussant les épaules : «  Ne le dis à personne ou je te tue ».

Je ne l’ai dit à personne. Et cela me tue.

Date de création: Le 26 mars 2010

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