Matou

Il était une fois un petit chat très intelligent que j’aimais du fond du ventre. Fier et fort de sa douance, il voulait chambouler l’ordre des choses, obsédé par l’urgence de devenir matou.  »Je ne veux pas de vos conseils! » rugissait-il. Des années s’écoulèrent, son pelage perdit du lustre. Même brossé avec vigueur, rien n’y faisait: sa peau devenait raide, son poil devenait noir. Sa tête aussi se remplissait de pensées sombres. Sa forte tête lui faisait mal. Je versais du lait dans un plat d’or que je laissais sur le bord de la galerie. Il venait. À la nuit tombée, il venait lécher la dorure, laissant surir mon offrande. Je pleurais un peu, du bout des yeux, et garnissais le plat de nouveau. Ne pas perdre espoir. Et mon chaton devenu errant venait cracher dans ma cour les jours de pluie. J’y laissais traîner des objets dans un coin abrité : un peigne à poux, des sacs de plastique, des billets d’autobus. Les cadeaux disparaissaient. Les mercis restaient coincés entre ses griffes. Ses yeux obscurs, mon dieu, son regard de chat sauvage! Je l’ai rêvé, roulé en boule dans mon cou, et le jour venu, je l’ai fait. Je l’ai chassé d’amour. Mon petit chat saboté.

Publié dans la revue Brèves (Laval, Qc), no 92, janvier 2016

© Diane Landry 2016
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